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Vincent Voillat (Invitation carte Blanche)

 

« L’hiver n’aura pas lieu cette année ».

 

Le titre poétique de l’exposition de Vincent Voillat résonne comme un souhait : que l’été ne se termine jamais. Ce titre pourrait annoncer – de façon très personnelle – une disparition imminente, ou encore l’annonce de la fin de notre destin commun, menacé par un drame écologique.

 

Un titre aussi insaisissable que  la roche, dont l’inscription temporelle transcende l’existence humaine. Car le minéral nous rappelle un monde où la présence humaine n’existait pas, et évoque un temps futur où la terre en sera à nouveau débarrassée.

 

L’artiste voit dans cette atemporalité de la roche une exceptionnelle leçon de relativité. Voilà une des raisons pour lesquelles la roche, à l’état brut ou polie, exerce une telle fascination sur Vincent Voillat et pourquoi il ne cesse d’explorer l’histoire de la pierre, ses différentes formes et les problématiques qui l’entourent. Comme Sisyphe condamné à faire rouler un rocher jusqu’en haut d’une montagne sans jamais en atteindre le sommet, Vincent Voillat ne parvient jamais à répondre de manière absolue à toutes ces questions, et sans doute ne le désire-t-il pas.

 

Qualifiée à tort de substance inanimée, la pierre est en réalité en mouvement permanent. L’artiste aspire ainsi à une dé - et restructuration poétique du rapport entre les humains et les choses, afin que nous, occupants de la terre, renoncions à nous positionner au centre du monde et à regrouper autour de nous tout ce qui n’est pas humain dans un but utilitaire. Dans cette recherche d’un nouvel ordre, Vincent Voillat refuse la dichotomie et invite à une vision ouverte, sans frontière, libérée de l’arrogance humaine.

 

Pour affranchir la pierre de son utilitarisme et appréhender un rééquilibre du monde, Vincent Voillat nous invite à appréhender le poids du monde par l’entremise de récits et de formes inspirés par le minéral. Il lui arrive de substituer des termes géologiques aux inventions « humaines » dans une tentative de s’éloigner d’un anthropocentrisme littéral.

 

Vincent Voillat exprime au moyen de l’art la force implicite de cette matière ordinaire, conférant à sa vivacité et aux récits qui lui sont associés une visibilité alternant entre beauté artistique et beauté de la nature. De cette façon, la qualité d’« être en-soi » de la pierre est mise en évidence et remplace son statut habituel d’« être pour autrui » dont l’unique raison d’être serait d’être à portée de la main (concept de Zuhandenheit de Heidegger). Les jalons sont posés pour répondre au besoin urgent de repenser l’anthropocène.

 

 

Les cicatrices de la pierre

 

L’exposition « L’hiver n’aura pas lieu cette année » en appelle avant tout à des histoires. Certaines individuelles et personnelles quand d’autres, plus universelles, racontent la transformation constante du monde, qui construisent l’hypothèse d’un effondrement total de la nature.

La pierre irréductible est au cœur de cette exposition chapitrée en trois temps.

La première salle est consacrée aux frontières fluctuantes entre ce que nous considérons comme monde naturel et les réalités façonnées par l’homme. Deux murs de cet espace sont recouverts d’une grande impression restituant à taille quasi-réelle une coupe géologique. Cette représentation, qui semble en premier lieu être le fait d’un phénomène naturel,  est en réalité produite par une intervention humaine dont les traces en sont les cicatrices.

Aux murs, des collages représentent des coupes agrandies d’un stromatolithe fossile. Ces œuvres sont réalisées à partir de fibres de bois mâchées que les frelons asiatiques fabriquent, c’est un papier grossier constituant de l’enveloppe du nid, formant de larges écailles de papier, striées de beige et de brun. Le visiteur est ici confronté au contraste entre un organisme ayant contribué à l’apparition de la vie sur terre, en produisant l’oxygène de l’atmosphère, et les changements profonds causés par une intervention humaine agressive, incarnés par le matériau fabriqué par un insecte devenu envahissant.

 

Au milieu de la pièce est montrée une collection de pierres, certaines polies, qui portent respectivement l’empreinte de leur histoire.

Ici, Vincent Voillat s’est inspiré par exemple des traces volontairement effacées de la révolution égyptienne de 2012, pour en garder la mémoire.

Provenant de différents lieux, ces pierres constituent un support des souvenirs personnels de l’artiste. Assemblées en une sorte d’aberration géologique, il est difficile de distinguer si les pierres se sont formées naturellement, sans intervention humaine, ou si elles ont été fabriquées artificiellement ou dans un but artistique. Le processus imaginatif de Vincent Voillat est organique et organisant (idée de organisch-organisierende de Peter Handke).

 

L’utopie d’une communauté néolithique

Dans la deuxième salle, artistes, critiques d’art, écrivains et scientifiques racontent leur attachement au minéral et relatent leurs histoires personnelles associées. Vincent Voillat joue ici le rôle de fondateur d’une « communauté néolithique » qui prône la douce utopie d’une époque géologique dans laquelle le langage propre de la pierre serait entendu et compris.

Une  sculpture au sol, réalisée en papier de pierre, simple empilement de feuille est perforée par des morceaux roches. Leurs formes erratiques sont comme l’écho des récits affichés au mur, envoyés là par un esprit chamanique. Contrefaçon ou fossile fabriqué de manière artificielle, cet artefact donnent un aperçu du désastre écologique contemporain, de la perte de mémoire et possiblement du langage.

 

Les pierres aussi ont droit au repos 

 

Le groupe d’œuvres de la dernière pièce crée un lien ambigu, parfois avec humour, entre l’histoire des hommes et celle de la roche. Ce qui, à première vue, paraît être une photographie en noir et blanc de la surface d’une planète ou d’un paysage minéral couvert de cratères, s’avère être en réalité un mur criblé de balles en plan rapproché. Les  murs au pied desquels des résistants ou des représentants de minorités furent fusillés, notamment le mur des Fédérés dont Vincent Voillat a isolé un détail. Le tout est associé à deux stèles, « les sculptures à balles réelles » formant une sorte de pierre tombale dotée de stigmates circulaires.

A proximité une autre stèle appuyée contre un mur semble traversée par un flux lumineux provenant de l’intérieur du matériau comme si la pierre était habitée par une forme de vie, comme si la pierre pleurait.

Enfin sur un ensemble de cinq lits de camp équipés de veilleuses reposent des pierres suintantes. Car « Les Pierres aussi ont droit au repos » ; sorte de plaidoyer poétique pour ces roches vivantes, cherchant à se libérer du joug humain.

Heinz-Norbert Jocks

 

“L’Hiver n’aura pas lieu cette année ”

(There will be no winter this year).

 

The poetic title of Vincent Voillat’s exhibition resonates like a wish: summer should never end. It could be the title of a technical report announcing – in a very personal way – the imminent disappearance, or even the announcement of the end of our common destiny, threatened by an environmental catastrophe.   

 

It is a title as elusive as a rock is, and whose temporal inscription transcends human existence. Because the mineral reminds us of a world where human presence did not exist and evokes a moment in the future where the earth will once again be rid of it.

 

The artist sees an exceptional lesson of relativity in the timelessness of rock. This is one of the reasons why rock, in its natural or polished state, is so fascinating to Vincent Voillat and why he never ceases to explore its history, its various forms and the questions around it. Just like Sisyphus was condemned to roll a boulder up a hill without ever reaching the top, Vincent Voillet never succeeds in thoroughly answering these questions, and he probably doesn’t want to.

 

Wrongly described as inanimate substances, stones are in fact in constant motion. The artist, therefore, aspires to a poetic de- and restructuration of the relationship between humans and things so that we, the earth inhabitants, may give up on placing ourselves at the center of the world and gather around us everything that is not human, with a utilitarian purpose. In this quest for a new order, Vincent Voillat refuses the dichotomy and invites us to an open vision, with no border, freed from human arrogance.

 

In order to free stones from their utilitarianism and grasp a rebalancing of the world, Vincent Voillat invites us to apprehend the weight of the world through the mediation of tales and shapes inspired by rock. He sometimes substitutes geological terms for “human” inventions in an attempt to move away from a literal anthropomorphism.

 

Through art, Vincent Voillat expresses the implicit power of this ordinary material, thereby giving its intensity and its associated stories visibility that alternates between artistic beauty and the beauty of nature. That way, the “being in itself” quality of stones is highlighted and replaces its usual “being for others” status whose unique raison d’être would be to be within hand reach Heidegger’s concept of Zuhandenheit). The ground is prepared to meet the urgent need for rethinking Anthropocene.

 

The scars of stones

 

First of all, the exhibition “L’Hiver n’aura pas lieu cette année” appeals to stories. Some personal and individual, while others are more universal and tell the constant transformation of the world, leading to a complete collapse of nature.

The irreducible stone is at the heart of this exhibition arranged into three parts and respectively developed in three spaces.

The first room is dedicated to the fluctuating frontiers between what we see as the natural world and the realities shaped by humans. Two walls in that space are covered in a large piece of fabric reproducing in almost actual size a thin blade of stone or a geological cross-section. The representation, which looks like a slice, is the result of human intervention, and the artist then shows what resembles scars caused by humans.

 

On the walls, collages represent enlarged cross-sections of a fossil stromatolite. These works are created from a natural material made of wood fibers which Asian hornets make by chewing decomposing wood. Here, visitors are brought face to face with the contrast between a living organism that contributed to the apparition of life on earth and the profound changes caused by aggressive human intervention, embodied by the material produced by an invasive insect.

 

There is a collection of stones exhibited at the center of the room, most of them polished and which all bear the print of their respective history.

Here, Vincent Voillat’s inspiration came from the concrete barricades erected outside official buildings after the Egyptian revolution of 2012.

Coming from historical locations, these stones constitute a prop for the artist’s personal memories. Gathered as a sort of geological aberration, it is hard to distinguish whether the stones formed naturally, with no human intervention, or whether they were made artificially or with an artistic aim. Vincent Voillat’s imaginative process is organic and organizing (Peter Handke’s idea of organisch-organisierende)

 

The utopia of a Neolithic community

In the second room, artists, art critics, writers, and scientists tell their attachment to minerals and relate their associated personal stories. Here, Vincent Voillat plays the role of the founder of a “Neolithic community” advocating the soft utopia of a geological era where the stone’s specific language would be heard and understood.

On the floor, two sculptures made up of stone sheets, are perforated by hot stones. Their erratic shapes are like the echo of the tales hung up on the wall and sent there by a shamanic spirit. Whether they are counterfeits or fossils made artificially, these artifacts give us a glimpse of the contemporary environmental disaster.

The group of works in the last room creates an ambiguous and sometimes comical link between human and rock histories. At first glance, what looks like a black and white photograph of the surface of a planet or a mineral landscape covered in craters, turns out to be the close-up of a wall riddled with bullets.

This work creates a link with all the walls where resistance fighters or representatives of minorities were shot, in particular, the Communards’ Wall in which Vincent Voillat singled out a detail. The whole work is connected to two stone steles forming a sort of gravestone equipped with circular marks and evoking the photos of the Live Bullet Sculpture.

Seeping stones rest over a set of five camp beds equipped with night lights. Because “stones also deserve some rest”; it is a kind of poetic appeal for these living rocks that attempting to free themselves from the human yoke.

Heinz-Norbert Jocks

 

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