Cartre blanche à Rémi Dal Negro.
Il serait tentant pour aborder le travail de Rémi dal Negro de se référer aux expériences sonores qui ont essaimé les vingt dernières années ainsi qu’aux mouvements modernistes. À raison, en partie, tant ceux-ci donnent un cadre favorable aux travaux de ce dernier, mais à tort également si l’on s’en tient au formalisme de certaines pièces. En effet, s’il est bien ici question d’une plasticité sonore nous nous trouvons plus particulièrement au seuil d’une épreuve de l’audible qui se trouve matérialisée, à quelques tours près, dans l’orifice formé sur le sillon d’un vinyle. À travers le sou e est une pièce, comme son auteur, placée sous le sceau de l’ambition. Celle d’un dialogue tout d’abord en cherchant à rendre audible la fréquence de l’épicentre d’un tremblement de terre ou d’une bombe H mais aussi celle de lui rendre une autre visibilité et d’en écrire le sillon. Cette retranscription prend la forme, ici, d’un orifice qui serait en tout point concordant à celui d’un projectile.
Le 19 novembre 1971, au F-Space de Santa Anna en Californie, l’artiste Chris Burden réalise une performance au cour de laquelle il se fait tirer dessus à la carabine par son assistante. Il met ainsi en branle une foule de questions qui viennent, aujourd’hui encore, bouleverser notre regard sur l’art vivant. Quelques images demeurent de cette action et notamment l’une où l’on voit le bras transpercé de l’artiste et un mince trou dont s’échappe un let de sang. Rien de très visuel qu’un simple orifice qui coule. En 1953, William S. Burroughs joue à Guillaume Tell avec sa femme. Il rate la pomme qu’elle tenait sur sa tête et la tue d’une balle de revolver dans la nuque. L’orifice qui demeure lui autorise une profonde construction littéraire : « pile de la taille de la pointe d’un crayon à papier ».
L’orifice qui se présente dans ces deux cas comme le résultat d’un tir d’arme à feu marque également l’entrée dans une histoire. Celle de la vie d’écrivain pour W. S. Burroughs et l’histoire de l’art contemporain pour Chris Burden. Visibles, marqués et marquants, les deux exemples précédents montrent que le geste et le trou sont souvent remplis de sens. Dans le cas de À travers le souffle, l’orifice ne serait pour nous pas perceptible. Il n’est visible que grâce au travail d’un laboratoire spécialisé dans les nanotechnologies qui a rendu possible le tirage de ce poinçon sur la surface du disque. Invisible en soi, il est également inaudible mais se réfère à deux catastrophes. L’une connue donne à « voir » le son d’une explosion qui serait Hiroshima ou Nagasaki, l’autre témoigne de la puissance d’un épicentre dont la magnitude n’est pas indiquée. Simple fantaisie de l’artiste voulant jouer au démiurge comme d’autres se sont fait martyr ou bourreau, il crée le son d’un ravage posant du bout des lèvres la question d’un « pourquoi ça cogne ».
Ces travaux ne sont pas isolés dans l’œuvre de Rémi Dal Negro. Si ce dernier ne s’est pas fait perforé le bras et n’a pas écopé de quelques mois de détention, il joue régulièrement au fantasque mathématicien qui mettrait sous presse une fréquence à une intensité impossible ne pouvant être lue sur aucun support, qui ne peut être supportée par nos tympans et qui ne supporte aucune lecture. Il s’agit alors de construire de l’impossible ou de l’invisible et de marquer le son par un vide, un trou qui vient alors transpercer la surface d’enregistrement, son unique victime.
En effet, le jeu « visuel » du sonore pose la question d’un silence imposé. Il prend le tour d’une image, d’un trou ou encore d’un moment qui suit la détonation. Il se fait également injonction par sa durée qui vient de fait s’opposer à l’éphémère présence du son. Nous sommes à travers le sou e et donc le son. Déjà avec la pièce Membrane (2012) réalisée à l’occasion de l’exposition Scopie Pulsée* Dal Negro jouait d’un vide sonore ne permettant qu’un déplacement et se trouvant malgré soi l’objet d’un mouvement en creux. L’espace concave enferme les bruits et les résonances dans une structure amplifiée à l’extrême au sein d’une cavité virtuelle. Inaudible de nouveau, le trou n’est pas dans ce cas visible, il existe par projection et par interstice. L’orifice intègre cette distance au son.
À l’ineffable du sonore, Dal Negro oppose donc une barrière symbolique, celle d’une embrasure ou d’un passage. Lorsqu’il réalise la série Kweik)), qui prend de nouveau l’aspect d’un abîme sur une feuille blanche, il nous donne à observer un par- cours réalisé en courbes et en aléas à la fois sismographe et partition d’un voyage. On retrouve cette présence assourdissante du sonore et de son périple. Il vient de même étudier la faille que l’auteur cherche à circonscrire dans ses travaux, comme l’espace d’exposition l’est à l’occasion de Surface acousmatique. De la même manière l’écriture sonore d’une bombe H ou d’un tremblement de terre sur un vinyle prend nécessairement l’aspect d’une révélation de l’objet et de son sacrifice. En soumettant le disque à des déformations irradiées comme il peut le faire à l’occasion de la brulure d’un vinyle (Platine vinyle, 2012) l’artiste conduit un autre enregistrement à son pilori. Continuant à jouer, le disque devient alors flottant, calciné et polymorphe, soumis aux degrés d’incandescence et aux désirs des auditeurs invités à changer de musique à l’envie.
Certainement fasciné par l’écriture symbolique de la musique et de la partition, Rémi Dal Negro l’est également par le pou- voir d’attraction d’une violence éprouvée sur les corps par la musique. Séparé des enjeux, parfois galvaudés, de la mise en scène du corps par l’artiste même, il préfère laissé le son jouir d’un pouvoir de destruction et de me rappeler, à propos de À travers le souffle, « si on pouvait l’entendre, on serait aussi mort ».
*Voir à ce propos, Léo Guy-Denarcy, Scopie pulsée, Galerie Nomade 2012, Semaine-IAC, Arles, 2012.
Léo Guy-Denarcy
Extrait de Born And Die #00 - Chantier{s}